Une belle et longue histoire

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La Chèvre des Fossés était aussi appelée « chèvre commune de l’Ouest » ou « chèvre des talus ». En effet, de la Normandie à la Bretagne et même jusqu’au Maine et au Pays Nantais, cette Chèvre glanait autrefois sa nourriture sur le bord des routes, d’où elle tire son nom. Chèvre vivrière, symbole de la subsistance familiale dans les milieux les plus modestes, l’animal n’avait pas de statut reconnu dans le monde agricole. Pour preuve, on ne retrouve quasiment aucune trace de son existence dans la littérature zootechnique des XIXème et XXème siècles. Elle était « la vache du pauvre », fournissant lait, viande, peau et parfois encore travail aux ruraux sans terre et aux déshérités.

La chèvre était élevée au piquet, dit « au tierre » en régions normandes. Elle était souvent attachée par le cou, les cornes ou encore par un bracelet de cuir posé au niveau du paturon. Menée le matin par les enfants sur le chemin de l’école ou les grands-mères, elle était ainsi mise à paître la journée dans les ronces et broussailles des sentiers, sur les bordures des fossés le long des talus ou encore dans les chemins creux. Parfois, un ou deux cabris (appelés « bichons » en Normandie) l’accompagnaient en liberté, garantissant ainsi aux familles un plat de choix pour les fêtes de Pâques.

Le soir, on ramenait la chèvre, mais celle-ci n’avait pas de toit ; elle dormait à la belle-étoile ou près du foyer. La grand-mère la trayait et ramenait un bol de lait à la famille avec lequel on nourrissait le dernier-né ou on préparait « la piquette ou caille », dessert que les enfants des familles les moins aisées se partageaient.

Le bouc, lui, était moins considéré encore que la biquette. A la Toussaint, on portait « la chèvre au bouc » mais chaque paroisse n’en possédait qu’un tout au plus. Plus trapu et mieux charpenté que la chèvre, il servait de bête de somme et tirait la charrette remplie de chiffes ou autres camelotes de son maître, qui pouvait être le chiffonnier, l’aiguiseur de couteaux, le journalier ou encore le marginal. Le bouc pouvait ainsi servir aux plus pauvres pour les transporter, comme les pensionnés de guerre ou infirmes qui ne pouvaient pas s’offrir le luxe des services d’un âne.

L’histoire d’une sauvegarde

Dans les années 1980, race locale victime comme toutes les autres de la révolution agricole qui a suivi la deuxième guerre mondiale, mais plus encore victime de l’industrialisation, de l’urbanisation des modes de vie et du remembrement, il ne reste plus qu’une centaine d’individus de Chèvre des Fossés. En 1989, le Conservatoire du littoral achète les falaises de Jobourg dans la Manche, à la pointe du Cotentin, et y découvre alors un troupeau retourné à l’état sauvage. En 1995, Laurent Avon de l’Institut de l’Elevage, commence les recherches sur la race. Il signale alors à l’Ecomusée du Pays de Rennes, qui instaure à cette époque un conservatoire animal, l’existence d’une population de chèvres qu’il baptise Chèvre des Fossés. Jean-Paul Cillard, zootechnicien et Jean-Luc Maillard, directeur de l’Ecomusée, continuent les recherches d’abord en Bretagne, où quelques animaux croisés sont retrouvés. En lien avec Olivier Delaval de la Chambre d’Agriculture de la Manche, les recherches s’orientent ensuite vers la Normandie. L’idée était de trouver des femelles à faire reproduire avec le troupeau féral de Jobourg. Cette recherche les amènent à découvrir chez Madeleine Bœuf, vieille dame âgée habitant Bricquebec dans la Manche, une dizaine de boucs divaguant –dont beaucoup de boucs blancs – et surtout une vieille Chèvre, Aubépine, qu’elle accepte de vendre à l’Ecomusée pour contribuer à sauver la race. S’ensuit alors une épopée que Jean-Paul Cillard, zootechnicien de l’Ecomusée, a toujours passion à raconter…

« Nous avons démarré l’élevage en 1995 avec l’achat de trois chèvres : Aubépine, une chèvre correspondant totalement au type racial recherché, pleine à l’époque et Eglantine, chèvre qui avait sans doute un peu de sang alpin. Elles provenaient toutes deux de l’élevage de Madeleine Bœuf dans la Manche. Puis nous avons également acheté une chèvre dans le Calvados, Poitevine, qui avait sans doute un peu de sang poitevin (d’où son nom !). A l’automne 1995, nous avons synchronisé leur chaleur par pause d’éponge, puis nous les avons emmenées en camion jusqu’à Jobourg, à la pointe du Cotentin. Là-bas, on les a laissées au piquet pour qu’elles soient saillies par les boucs du troupeau sauvage : c’est ainsi qu’Aubépine a donné naissance aux deux fameux boucs Napoléon et Nucléo. Nous avons ensuite récupéré un bouc dans le Finistère qui s’appelait Emissaire, et trois chèvres en Ille-et-Vilaine : Emma suitée d’Olga, Louise, et Norgères, ainsi qu’un bouc motte, Ernest. On a également utilisé dans cette période un bouc originaire du Calvados, prénommé… Calvados, et Cornelius, un très beau bouc motte que nous avions acheté à la foire de Lessay en 1999. La dernière souche extérieure est celle de Mathilde, qui venait de la Manche. C’est à partir de ces différents animaux que nous avons créé notre troupeau actuel. »*

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Troupeau de Chèvres et de boucs des fossés de la pointe de la Hague

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A cette époque, un Comité pilote se rassemble alors autour de la race, progressivement constitué du groupe mammologique Normand, du Conservatoire du Littoral, de l’Ecomusée du Pays de Rennes, de l’Arche de la Nature du Mans et du Parc Naturel Régional d’Armorique, avec l’appui de l’Institut de l’Elevage et du CRAPAL (Conservatoire des Races Animales en Pays de Loire). Nous sommes dans les années 90. En parallèle, des particuliers passionnés de la démarche de sauvegarde s’intéressent à la race et contribuent eux aussi à des opérations de collectages individuels, et à développer la race. Les effectifs remontent alors progressivement, et en 2004, le Ministère de l’Agriculture reconnaît officiellement la race, qui prend le code race 44. En 2007, naît l’Association de Sauvegarde et de Promotion de la Chèvre des Fossés. Cette association, dont les membres fondateurs faisaient partie soit du groupe de pilotage, soit du premier noyau d’éleveurs, va prendre la suite de la gestion de la race et ainsi contribuer à écrire la suite de l’histoire, en cherchant avant tout à lui promettre un bel avenir…

* Entretien issu de la lettre du CRAPAL n°20 – Juillet 2005